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« Il y a tant à gagner en réduisant les pertes alimentaires »

Peu de problèmes ont généré autant d’intérêt public ces dernières années que les pertes et le gaspillage alimentaires, conséquence d’un échec moral et technique dans un monde où la faim et la malnutrition n’ont toujours pas été éradiquées.

En 2011, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture a lancé une campagne de sensibilisation à destination du public à l’aide d’un rapport produit par l’Institut suédois pour l’alimentation et la biotechnologie, qui estimait qu’un tiers de la nourriture produite à travers le monde n’est jamais mangée. Ces chiffres et ces recherches sont encore largement repris aujourd’hui.

C’était pourtant il y a 8 ans. Depuis, la FAO a fait de son mieux afin de concevoir des programmes pilotes sur le terrain et de mieux sensibiliser le public aux meilleures manières de réduire les pertes et le gaspillage alimentaires conformément à l’Objectif de développement durable 12.3.

Nous avons développé l’Indicateur de pertes alimentaires, qui permettra aux pays de mesurer la quantité de nourriture perdue après la récolte et pendant les étapes de stockage, de transport et de transformation – à l’exception de l’étape de la vente, lorsque les pertes se transforment en gaspillage et qui relève du domaine de l’ONU Environnement. Il est essentiel d’avoir accès à des données fiables et comparables pour pouvoir suivre les progrès réalisés et identifier les meilleures pratiques.

Lire aussi : DG FAO : « Des mesures plus audacieuses sont nécessaires pour éradiquer la faim et lutter contre l’obésité »

Cette année, le rapport sur la Situation de l’alimentation et de l’agriculture donne à voir des moyens viables et concrets de réduire les pertes et le gaspillage alimentaires, à défaut de les dénoncer.

Nous avons un nouveau chiffre : 14%. Il s’agit des dernières estimations concernant les pertes alimentaires au niveau mondial. Gardez à l’esprit que les données disponibles sont relativement fragmentées mais que leur qualité ne cesse de s’améliorer, ce qui signifie que ces estimations sont appelées à évoluer.

Ce chiffre ne devrait cependant pas être comparé avec les évaluations de 2011 car nous avons peaufiné notre méthodologie pour inclure des facteurs tels que la valeur économique et la nutrition –il s’avère que les pertes en micronutriments dues aux pertes et au gaspillage alimentaires sont extrêmement élevées – plutôt que le volume.

Le gaspillage alimentaire n’est pas inclue dans les estimations sur les pertes et nous savons que le chiffre correspondant à cela peut être très élevé en raison notamment de la mauvaise gestion des ménages dans les pays plus riches et des insuffisances au niveau de l’énergie et du stockage dans les pays plus pauvres. Les estimations concernant le gaspillage alimentaire peuvent être très faibles –quelques points de pourcentage – et s’élever jusqu’ à un tiers, selon les pays.

L’un des faits marquants révélés par le rapport SOFA 2019 est que les pertes alimentaires surviennent souvent dans des endroits où la faim est plus répandue, soulignant ainsi l’urgence de lutter contre ses causes.

Cela étant dit, il n’existe pas de formule magique reliant les pertes et le gaspillage alimentaires à la faim.

L’accès à l’alimentation, le fait qu’elle soit abordable, et non le fait qu’elle soit disponible, est une des premières causes de sous-alimentation.  De plus, si la réduction des pertes et du gaspillage entraînent une baisse de la demande, les petits agriculteurs pourraient faire face à de plus en plus de limites concernant leurs revenus, ce qui aurait pour effet d’aggraver leur situation alimentaire. Il est donc important d’intensifier les efforts visant à la fois à réduire les pertes et le gaspillage alimentaires et à améliorer la qualité alimentaire- tel que le fait de réduire la quantité d’aflatoxine dans le maïs – ce qui peut avoir pour effet de faire augmenter les prix du marché et les revenus des fermiers.

Un examen attentif mené par la FAO de ce que nous savons à propos des pertes alimentaires rappelle qu’il n’existe pas de solution unique pour tous. Par exemple, le manioc, une denrée de base dans de nombreux pays tropicaux, à tendance à périr plus vite que les pommes de terre dans les régions tempérées.

Il serait plus avisé de travailler sur des interventions publiques visant à réduire les pertes et le gaspillage alimentaires afin d’élargir les objectifs et en particulier les objectifs liés aux ressources naturelles et au changement climatique. L’agriculture a une empreinte importante au niveau de l’eau et de l’utilisation des terres à travers le monde mais aussi au niveau des émissions de gaz à effet de serre, donc tout ce que nous produisons mais ne mangeons pas, a un impact négatif sur nos besoins alimentaires.

Comme le souligne le rapport SOFA – à l’aide de tendances selon les régions et les types de nourriture – là où la sécurité alimentaire et les ressources naturelles sont abondantes, les interventions précoces dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire sont plus efficaces tandis que réduire le gaspillage au niveau du consommateur et de la vente représente la meilleure manière de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Si le nouvel Indicateur de la FAO sur les pertes alimentaires permet clairement de rendre les Etats membres et les acteurs du secteur plus responsables, il a également été conçu pour que les pays puissent avoir une meilleure idée de leur situation respective et identifier les problèmes au sein des chaînes de valeur ainsi que les principales étapes où surgissent les pertes, la où des actions ciblées peuvent permettre de faire des progrès considérables.

Des investissements – en termes d’infrastructures de stockage et de logistiques mais aussi avec une série de motivations cohérentes et de sources de connaissances – seront nécessaires.

Nous espérons que l’indicateur permettra de produire davantage de données. Les estimations actuelles peuvent varier considérablement et couvrent souvent trop peu de cultures alimentaires et de types d’alimentation.

L’objectif de la FAO est d’aider les Etats membres à respecter leur engagement et à améliorer la vie des populations. Il est temps d’agir – de manière viable – vis-à-vis de l’ODD12 et de l’objectif consistant à réduire les pertes alimentaires et à diminuer de moitié le gaspillage alimentaire d’ici 2030. Il y a tant à faire et de nombreux avantages à y gagner.

Par Máximo Torero Cullen

Sous-Directeur général, Département pour le développement économique et social à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)

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