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UTM de Gankpétin : Une gestion axée sur le genre

L’agriculture étant principalement un travail d’hommes, les femmes peinent à se faire une place de choix dans les différents maillons des chaines de valeurs. Néanmoins à l’Unité de Gankpétin (un joyau offert par le programme ACMA 2 aux acteurs des Pôles d’Entreprises Agricoles), la gent féminine s’illustre à merveille dans ses aptitudes et compétences de gestion et de production, sous le regard bienveillant de quelques hommes.

Un jeudi matin, sur une moto vrombissant sous un ciel nuageux, Colette Madohonan, pénètre dans l’enceinte de l’unité de Transformation de manioc de Gankpétin. Elle éteint le moteur, gare l’engin, puis se dirige vers une dizaine de femmes concentrées à peler les tubercules de manioc fraichement livrés par les producteurs. Elle échange des civilités en langue locale mahi et s’enquiert de leur plan d’activités de ce jour-là. Ainsi, commence la traditionnelle tournée quotidienne de celle qui coordonne les activités au sein de l’Unité de Transformation de Manioc  (UTM) de Gankpétin.

Mis en service depuis février 2020, l’unité de transformation de Manioc en Gari de Gankpétin est devenue le précieux bijou des groupements de femmes bénéficiaires du programme ACMA 2  dans le département des collines. Installée dans l’arrondissement de Tré à 08 km de Dassa-Zoumè, elle vient résorber deux principaux problèmes communs à toutes les transformatrices. D’abord, le manque d’infrastructures dotées d’équipements modernes pour une production intensive de la farine de Gari de qualité, puis un centre d’échange commercial de renom dédié à ce dérivé du manioc. Des besoins auxquels le programme Acma 2 s’est proposé de répondre en collaboration avec le conseil communal, afin de relever le défi de la mise en marché des produits agricoles et de l’accroissement des revenus des acteurs économiques agricoles ruraux.

Aperçu extérieur de l’Unité de transformation de manioc de Gankpétin, Acma 2

Un centre de production moderne

La fabrication du gari au Bénin étant tributaire d’un processus artisanal, les femmes exercent beaucoup d’efforts physiques avant d’obtenir le produit final. Pendant la préparation, elles sont exposées à la chaleur et à la fumée de bois, ce qui leur cause des problèmes de santé oculaire et respiratoire plus tard. Assises inconfortablement, elles s’exposent aussi à  des brûlures, parce que trop proches du foyer de fortune fait d’argile rouge. De même, le processus de transformation  impacte considérablement la qualité du produit final. Le gari obtenu n’est pas toujours blanc et contient parfois des bouts de la tige de manioc qui ont résisté à la râpeuse. Aujourd’hui, ce process a changé pour le bonheur des acteurs.

« Tel que nous transformions le gari auparavant, nous n’obtenions pas un produit aussi propre qu’aujourd’hui. Nous le faisons grâce à l’installation de cette unité », souligne Houindjè Hessou, membre de la coopérative « Yamagnon ».

En raison du processus de transformation très physique, la capacité de production des femmes reste très limitée. Elles perdent bien souvent de grandes opportunités de vente. « Auparavant, avant de transformer du gari, il nous arrivait de passer plusieurs jours dans les champs pour trouver du manioc. Mais aujourd’hui, nous n’avons plus besoin de quitter nos maisons. Nous nous faisons livrer directement dans l’unité », témoigne    Jeanne Alidjinou, membre de la Coopérative « Sonagnon ».   En effet,   l’UTM de Gankpétin se veut un complexe moderne qui simplifie tout le processus de transformation du manioc aux femmes.

La transformation de manioc est tributaire d’un processus manuel

Construite sur une superficie de 2500 m², elle est dotée d’une salle de torréfaction avec cinq (05) foyers pour cuire le gari ; d’une salle humide pour le lavage, le râpage et le pressage du manioc ; d’un petit magasin de stockage des produits transformés ; d’une salle de jeu et de repos pour les enfants ; d’une paillote pour l’épluchage du manioc ; d’un bureau équipé de table et chaises pour un gestionnaire et d’un forage équipé de pompe solaire. Divers équipements et matériels y sont intégrés pour une exploitation efficace en l’occurrence un extincteur, un tricycle pour faciliter le transport de  la matière première depuis les champs, une râpeuse pour broyer le manioc, des presses, une couseuse, des barques de fermentation, des séchoirs, une thermos soudeuse, des tamis, des bassines et une balance.

Des itinéraires techniques clairs pour une production de qualité

De février 2020 à aout 2021,  les exploitantes totalisent déjà dix-huit mois d’expérience enrichissante sur l’UTM de Gankpétin. Une expérience meublée d’activités de renforcement de capacité organisationnel et technique. En effet, avant la mise en service du joyau, le programme Acma 2 a identifié l’organisation des OPA comme premier défi à relever pour une utilisation économiquement utile. « Nous avons constaté que les acteurs avaient des faîtières au niveau communal, mais qui n’avaient pas de démembrement dans les villages, pas de groupement, pas de coopératives organisées, et fonctionnelles […] ce qui a fait que l’impact de nos interventions à la base n’était pas effectif » explique Valérie Lègba, spécialiste en développement économique et local du programme Acma 2.

 

Partant de ce constat, quatre coopératives régulièrement constituées  ont été identifiées pour exploiter le site, notamment “Sonagnon“ de Gankpétin, “Yamangnon“ d’Adjokan, “Sèflimi“ et “Houenoumandi“. Les membres ont ensuite bénéficié de diverses formations en gestion et en bonnes pratiques sur l’hygiène, la transformation, la qualité du manioc et les normes HACCP, grâce au partenariat ACMA -GRASID Ong. Ces préalables ont permis au comité de gestion d’asseoir un ordre de passage dans l’unité. « Dans un mois, tous les quatre groupements qui travaillent ici ont chacun une semaine pour  passer. », explique, Colette Madohonan la coordonnatrice de l’UTM de Gankpétn.

Les bénéficiaires utilisent une presse à l’UTM de Gankpétin pour essorer l’eau du manioc moulu

Aussi, des options business ont-elles été définies pour garantir le fonctionnement du centre. En effet, le bon fonctionnement et l’entretien des matériels et équipements (tricycle, électrification, plomberie, vidange du puisard, etc.), ainsi que la protection du site sont à la charge des exploitants. Pour ne pas mettre les clés sous la porte, le comité de gestion a mis en place deux stratégies de mobilisation de ressources. Il s’agit premièrement de la location du tricycle et deuxièmement de la vente de l’excédent d’eau. « Si une coopérative transforme un tricycle de manioc, elle paye 2000 francs. Nous avons également de l’eau sur place. Lorsque nous finissons la transformation et que nous avons encore de l’eau en réserve, nous la revendons aux villageois », nous explique Colette Madohonan.

La transformation de gari, pas qu’une affaire de femmes

Pour ces transformatrices, la transition d’un processus artisanal vers les pratiques modernes de transformation du gari s’est effectuée aisément. Avec l’appui technique dont elles ont bénéficié, elles se sont adaptées plus facilement et ont su relever le défi de la planification de l’ordre de passage, de la tenue des réunions périodiques du comité de gestion et de l’utilisation responsable de l’unité. Et cela ne s’est pas fait sans les hommes.

En effet, le comité de gestion de l’UTM compte dans ses rangs des hommes en plus des sages du village qui participent aux réunions mensuelles. Contrairement à ce à quoi on peut s’attendre, ceux-ci collaborent de façon harmonieuse avec les femmes. Eugene Alidjinou, trésorier dans le comité de gestion et membre de la coopérative “Houénounmadin“ en est l’exemple. À toutes les étapes de la transformation, ce dernier met la main à la pâte.

« J’aime tellement voir les femmes travailler, c’est pourquoi je me débats pour les aider surtout pour que l’UTM de Gankpétin aille de l’avant. Quand il y a chaque fois d’activités, cela veut dire que l’unité va progresser. » confie-Eugene Alidjinou.

Pour lui, il en va du développement de l’unité, et il s’est résolument engagé pour cette cause aux côtés des femmes.

Eugène Alidjinou, membre du comité de gestion de l’UTM, assite les femmes au cours de la transformation du manioc en Gari

Des performances encourageantes ou l’espoir d’un avenir meilleur

Les formations relatives aux bonnes pratiques d’hygiènes et de transformation sur l’UTM de Gankpétin portent leur fruit. La tournée quotidienne de la coordonnatrice vise d’ailleurs à s’assurer du respect des règles d’hygiènes enseignées, du respect de l’itinéraire technique pour obtenir le gari de premier choix, mais aussi de l’utilisation responsable du site. Aujourd’hui, ces femmes se félicitent de pouvoir transformer du gari « Sohoui » et ordinaire, et subsidiairement du tapioca de bonne qualité. « Ici, nous produisons désormais du gari sec de très bonne qualité. Il est propre à la vue et sec à la langue comme les gens le préfèrent. », déclare Houindjè Hessou.

Ainsi, au cours de la première année d’exercice, le centre a produit 9 675 T de gari et 1,508 T de tapioca pour une valeur totale de trois millions huit cent quatre mille cent soixante-dix (3 804 170) FCFA. De janvier à février 2021, plus de  3,9 T de gari et 0,48 T de tapioca y sont sortis pour une valeur d’un million cinq cent mille (1 500 000) FCFA. Depuis cette date, elles ont atteint une vitesse de croisière. Toutes les semaines, les femmes transforment huit (08) tricycles (d’une capacité de chargement de 800 kg) remplis de manioc. Avec ce chargement, elles obtiennent au bout de la production, deux tonnes de garis. Ainsi, en cas de disponibilité de la matière première, les exploitantes de Gankpétin peuvent produire au bout d’un mois, huit (08) tonnes de gari. Un rythme de production assez impressionnant qui augure de belles performances quand on sait que le gari se présente comme un aliment de grande consommation aussi bien en zone rurale qu’en zone urbaine au Bénin. On estime à plus 60 % la quantité autoconsommée localement sur une production de plus de 4 000 tonnes par an (Agritools). Il représente donc un marché très porteur avec une nette préférence des consommateurs pour le gari « Sohoui » produit au centre du pays (Savalou, Pahouignan, Dassa) pour sa qualité organoleptique.

Le mode de gestion dont jouit l’unité semble être le mieux approprié pour la durabilité du centre et les femmes bénéficiaires s’en réjouissent

Des défis importants à relever

«  Je salue le programme ACMA 2 pour tous les efforts qu’il fait pour nous, femmes transformatrices de manioc en gari. Bien que ce centre a été installé pour nous, nous avons toujours besoin de l’accompagnement du programme», plaide  la coordonnatrice.

Arrivées à une vitesse de production impressionnante, les transformatrices de manioc en gari à l’UTM de Gankpétin doivent encore relever des défis importants. Le magasin de stockage prévu pour conserver les productions des femmes en attendant leur écoulement a atteint sa limite. Pour pallier la situation, les femmes transportent les excédents vers leurs domiciles, où les conditions de stockages ne sont pas toujours des plus optimales.

Aussi, en raison de la rareté des pluies, de la transhumance et de la cherté  du manioc, les activités sont au ralenti à l’UTM.

« Le manioc que nous transformons aujourd’hui nous vient d’un village reculé de Ouèssè. Outre cette difficulté actuelle, nous n’avons pas à nous plaindre. », confie Jeanne Alidjinou.

Par ailleurs, l’UTM de Gankpétin pourrait encore développer d’autres débouchés du manioc afin d’en tirer totalement profit. « Sur le manioc, rien ne se perd », peut-on entendre dans les rangs des transformateurs. Dans d’autres contrées du Bénin, le manioc intervient dans la transformation d’autres produits comme la farine de lafou, du agbéli et de la farine panifiable qui a le vent en poupe en boulangerie et en pâtisserie. Ailleurs encore, les pelures et eaux usées issues de la transformation du manioc participent à la production du gaz domestique. Une innovation qui participera considérablement à accroitre l’autonomie énergétique de l’unité.

Pour l’heure, les exploitantes de l’UTM ont le regard tourné vers un objectif précis : la croissance de leur capacité de production et de leurs chiffres d’affaires. Le mode de gestion dont jouit l’unité semble être le mieux approprié pour la durabilité du centre. Sur ce point et sur bien d’autres encore, le programme ACMA 2 fait l’unanimité auprès de ces femmes.

Méchac AWOKOLOÏTO

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