Le monde a de plus en plus soif. Face à la crise mondiale de l’eau, les spécialistes optent pour la valorisation des eaux usées à des fins agricoles. Mais au-delà de l’Agriculture, les eaux usées traitées ou recyclées sont utilisées dans d’autres secteurs. Pour Docteur Thierry Agblonon Houélomè, spécialiste de la qualité de l’eau et de bioindication, la valorisation de ces ressources est très utile. L’enseignant-chercheur associé au Laboratoire d’hydrobiologie et d’aquaculture de la Faculté des sciences agronomiques de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC) souligne tout de même à Agratime les risques qui en découlent. Lisez plutôt !
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Agratime: Qu’entend-on par ‘’eaux usées’’ et comment les classifie-t-on ?
Docteur Thierry Agblonon: Encore appelées eaux souillées, eaux altérées, eaux résiduaires, eaux résiduelles… les eaux usées sont des eaux polluées par l’usage humain. Les eaux usées sont donc des eaux chargées de polluants, solubles ou non, provenant essentiellement de l’activité anthropique. Sous la terminologie d’eau résiduaire, on désigne des eaux d’origines très diverses qui ont perdu leurs puretés ; c’est-à-dire leurs propriétés naturelles par l’effet des polluants après avoir été utilisées dans des activités humaines (domestiques, industrielles ou agricoles). Les eaux usées sont caractérisées par un pouvoir de contamination des milieux dans lesquels elles sont déversées, par des polluants physiques, chimiques ou biologiques.
Les eaux usées sont différemment classifiées. On a les eaux domestiques composées des eaux ménagères (eaux du lavage corporel et du linge, lavage des locaux, eaux de cuisine, lavabos) et des eaux-vannes (rejets des toilettes) chargées de diverses matières organiques azotées et de germes fécaux.
Les eaux usées industrielles : Très différentes des eaux usées domestiques, leurs caractéristiques varient d’une industrie à l’autre. En plus de matières organiques, azotées ou phosphorées, elles peuvent contenir : des produits toxiques, des solvants, des métaux lourds, des micropolluants organiques, des hydrocarbures…
Les eaux usées agricoles : Ce sont des eaux impropres ayant fait l’objet d’une utilisation agricole ou ayant subi une transformation, et qui proviennent directement ou indirectement des activités agricoles ; agriculture, élevage, aquaculture.
Les eaux usées qui proviennent des installations industrielles ou agricoles sont qualifiées d’effluents industriels ou agricoles.
Les eaux pluviales et de ruissèlement : les eaux de pluie ne sont pas dépourvues de pollutions et peuvent constituer une cause de dégradations importantes des cours d’eau, notamment pendant les périodes orageuses. Ces eaux se chargent d’impuretés.
Ces différentes eaux peuvent être recyclées. En termes simples, en quoi consiste leur valorisation et traitement?
Des pratiques permettent de valoriser toute ou une partie de l’eau usée après le traitement de celle-ci dans une station de traitement des eaux usées (STEU). Au niveau mondial, le terme adapté et le plus utilisé est « Réutilisation des Eaux Usées Traitées ». L’expression « Réutilisation des Eaux Usées Traitées » (REUT) est utilisée pour désigner la valorisation, pour un ou plusieurs usages, des eaux résiduaires ou industrielles après leur traitement adapté en station de traitement des eaux usées (STEU).
Les eaux usées ne doivent pas être réutilisées brutes. Un traitement est toujours nécessaire et diffère selon le type d’eau usée et sa réutilisation.
Les eaux usées sont traitées dans des Stations de Traitement des Eaux Usées encore appelées stations d’épuration. Une station de traitement est caractérisée par un système de dépollution des eaux usées avant leurs rejets dans le milieu naturel, les cours d’eau et l’environnement en général ou leur réutilisation. Une station de traitement est généralement installée à l’extrémité d’un réseau de collecte, juste en amont de la sortie des eaux vers le milieu naturel.
La dépollution des eaux usées dans une station de traitement obéit à une ingénierie de plusieurs étapes. Les objectifs principaux de traitement des eaux usées avant leur réutilisation sont : réduire le colmatage dans les systèmes d’irrigation, éviter les mauvaises odeurs, éliminer les microorganismes pathogènes, réduire la teneur en azote, protéger la nappe souterraine…
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Une fois les eaux traitées, à quel usage pourrait-on les destiner ?
La réutilisation des eaux usées traitées se fait dans plusieurs domaines : les usages potables qui peuvent être directs, après un traitement poussé, ou indirects, après passage dans un milieu naturel ; les usages non potables dans les secteurs agricoles, industriels et urbains.
L’irrigation agricole était, est et restera le plus grand consommateur d’eau recyclée avec de nombreux avantages et bénéfices bien reconnus, notamment la contribution à la sécurité alimentaire. Il s’agit d’irrigation agricole, de maraichage, d’aquaculture…
Les autres usages peuvent se résumer en deux points. Le premier, la réutilisation industrielle : eau de refroidissement, eau de process. Le second, la réutilisation urbaine : arrosage d’espaces verts (parcs, terrains sportifs), lutte contre les incendies, lavage des rues, aménagement paysager (cascades, fontaines…)
Le monde souffre de manque d’eau. Dans ce contexte, quels sont les enjeux de la valorisation des eaux usées pour l’Agriculture du futur ?
La réutilisation des eaux usées traitées est un enjeu politique et socio-économique pour le développement futur des services d’eau potable, d’assainissement et d’agriculture. Elle présente, en effet, l’avantage majeur d’assurer une ressource alternative permettant de limiter les déficits en eau, de mieux préserver les ressources naturelles et de palier les pénuries d’eau engendrées par les changements climatiques. Les enjeux de la réutilisation en agriculture sont donc énormes sur le plan environnemental, économique, social, gestion des ressources et de la sécurité alimentaire.
La principale motivation qui justifie la réutilisation des eaux usées traitées en agriculture, est de réaliser des économies d’eau de première main et d’accroitre la disponibilité de la ressource. Elle permet de pallier les déficits hydriques et d’augmenter les rendements de la production agricole par un apport adéquat d’eau d’irrigation.
Face aux enjeux du changement climatique et surtout de la pénurie d’eau, la valorisation et le recyclage des eaux usées traitées, représente une stratégie de résilience pour les systèmes agricole et aquacole. Elle constitue une priorité de développement pour nombreux pays et régions.
La réutilisation des eaux usées traitées présente ainsi nombreux avantages : la suppression de rejets en eaux de surface, la sauvegarde des ressources en eaux souterraines, la conservation des sols, l’amélioration des terres agricoles par apport d’humus…
L’on craint que les eaux usées bien que traitées déteignent sur la qualité des produits agricoles et la santé humaine. Qu’en dites-vous ?
Les principaux risques liés à la réutilisation des eaux usées traitées en agriculture sont les risques sanitaires, les risques agronomiques et environnementaux et les risques opérationnels comme le colmatage des équipements d’irrigation.
Le risque majeur pour la santé publique associé à l’irrigation avec de l’eau recyclée est la contamination par des microorganismes pathogènes, notamment des virus, des bactéries, des helminthes et des protozoaires. Ce risque sanitaire lié à la présence des germes dans les eaux usées traitées aussi bien pour le travailleur que pour le consommateur. Les travailleurs sont exposés et les cultures peuvent être contaminées par les germes présents dans les eaux usées traitées.
De meilleures pratiques de gestion doivent être appliquées pour prévenir le risque de contamination et surtout pour la charge de pathogènes dans l’eau recyclée. Des mesures barrières doivent être appliquées pour réduire la probabilité de contact avec les micro-organismes qui sont potentiellement infectieux.
En ce qui concerne les risques agronomiques et environnementaux, ils sont liés à la présence dans l’eau traitée des éléments traces, de métaux lourds et des micropolluants organiques. Les mesures préventives pour la protection des risques sanitaires sont plus que suffisants pour protéger les sols, les eaux de surface et les eaux souterraines.
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Au Bénin, valorise-t-on déjà les eaux usées et a-t-on une réglementation en la matière ?
La politique de traitement des eaux usées et leur réutilisation au Bénin, est encore à l’étape embryonnaire. Des initiatives visant à valoriser les eaux usées au Bénin naissent mais elles restent relativement nouvelles et limitées. Ces initiatives viennent des ONGs [Organisations non gouvernementales] et des centres de recherches visent la production du biogaz, la fertilisation du sol, la fertilisation étangs.
Cependant, il est important de souligner que la réutilisation des eaux usées doit être gérée de manière responsable pour éviter les risques sanitaires et environnementaux. Il est donc crucial que le Bénin mette en place des réglementations et des politiques de traitement et de valorisation des eaux pour la garantie de la sécurité et la qualité de l’eau. En effet, le Bénin ne dispose pas des règlements et des politiques spécifiques pour le traitement et la réutilisation des eaux usées.
Seuls quelques décrets abordent la question des eaux usées notamment le Décret n°2001-109 du 4 avril 2001, fixant les normes de qualité des eaux résiduaires en République du Bénin et l’Arrêté n°2017-095 fixant les modalités de délivrance du permis de déversement des eaux usées industrielles. Une règlementation approfondie est nécessaire pour traiter les questions d’épuration, de station de traitement, des normes des eaux usées traitées, du recyclage des eaux usées traitées, des pratiques de gestion de la réutilisation des eaux usées…
Propos recueillis par Emmanuel M. LOCONON
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